LE MAGAZINE DE

Logo

Cliquez sur le logo pour retourner au site de Voile Abordable

Bateaux vikings

Accueil Remonter

 

Les bateaux vikings de Roskilde (Danemark)
par Antoine Rose, février 2003

Vers l’an de Grâce 1050, faisant force rames, un groupe de vaisseaux vikings arrivant de Norvège s’avance rapidement vers l’ouverture du fjord qui les mènera vers la ville de Roskilde. La stratégie essentielle de cette attaque étant de pouvoir s’enfoncer rapidement et par surprise au cœur de l’ennemi. Un guetteur, aux yeux usés à force de scruter l’horizon, aperçoit un groupe de vaisseaux se dirigeant vers l’entrée du fjord. Aussitôt, celui-ci allume un bûcher qui, de relais en relais, de caps en caps, donnera l’alerte aux habitants de Roskilde.

Roskilde, peu après le passage de l’an mille, est la capitale politique des vikings du Danemark. La ville, lieu de commerce, accumule les richesses, suscite les convoitises et doit se protéger contre les raids des vikings norvégiens.

L’équipement militaire le plus redoutable des vikings est leur bateau. Long et étroit, il est très rapide. Sa structure ouverte le rend très léger et peu profond. Sa symétrie fait en sorte que la manœuvre à rame le rend très agile, capable de partir à reculons rapidement dans d’étroites rivières.

La rapidité d’attaque est le principal atout des vikings. Ils remontent fleuves et rivières pour frapper au cœur même des villes et villages, préférant même attaquer la nuit ou les dimanches pendant la célébration des offices religieux lorsque l’ennemi était catholique.

Roskilde est située au fond d’un étroit fjord, long d’environ 20 milles nautiques. Pour éviter d’être surpris, un dispositif d’alerte a été mis en place. Des guetteurs situés tout le long du fjord disposent de bûchers prêts à flamber pour donner une alerte rapide. À environ 10 milles au nord de Roskilde se trouve le Skuldelev, un rétrécissement du fjord où l’eau est peu profonde. Les habitants de Roskilde ont disposé en travers du fjord une barrière de pieux. Une étroite ouverture au centre permet le passage des bateaux. Une attaque imminente ayant été signalée, des villageois remorquent quelques-uns de leurs vaisseaux remplis de pierres et qui seront alors coulé dans l’ouverture pour bloquer le passage.

La mémoire de ces bateaux coulés subsistera longtemps, mais se transformera peu à peu. À la fin des années cinquante de notre siècle, les pêcheurs savent encore que des bateaux gisent au fond du Skuldelev mais croient qu’il s’agit de bateaux coulés sous le règne de la reine Margrett 1ère (1353-1412). En 1957, une expédition archéologique découvre qu’on a plutôt affaire à des vaisseaux vikings beaucoup plus anciens.

Cinq navires seront retrouvés au fond de l’eau. Deux navires militaires, deux navires de commerce et un bateau de pêche. Le plus grand des navires militaires est malheureusement aussi celui qui a été le moins bien conservé, étant situé plus près de la surface. Pour atteindre les navires, une palissade fut construite puis asséchée. Les épaves seront patiemment retirées du fond, chaque pièce de bois sera traitée avant d’être étudiée puis réassemblée dans un squelette de tiges métalliques permettant de reconstituer la structure du bateau.

Caractéristiques des bateaux

Skuldelev 1 (Knarr)

Skuldelev 2 (Skeid)

Skuldelev 3 (Byrding)

Commerce long-courrier

Vaisseau de guerre long-courrier

Commerce côtier

Longueur : 16 mètres

Longueur : 30 mètres

Longueur : 14 mètres

Bau : 4.8 mètres

Bau : 3.8 mètres

Bau : 3.3 mètres

Tirant d’eau : 0.6 à 1.3 mètres

Tirant d’eau : 0.9 mètre

Tirant d’eau : 0.9 mètre

Déplacement : max. 36 tonnes

Déplacement : 25 tonnes

Déplacement : max. 9.6 tonnes

Équipage : 6-8 hommes

Équipage : 70-80 hommes

Équipage : 5-6 hommes

Surface voilure : 90 m2

Surface voilure : 120 m2

Surface voilure : 45 m2

Vitesse moy. : 5 nœuds

Vitesse moy. : 6 nœuds

Vitesse moy. : 4 nœuds

Vitesse maxi : 13 nœuds

Vitesse maxi : 15-20 nœuds

Vitesse maxi : 8.5 nœuds

Bois : pin, chêne et tilleul

Bois : chêne

Bois : chêne

Date : env. 1030

Date : env. 1042

Date : env. 1040

Lieu de construction : Norvège

Lieu de construction : Irlande

Lieu de construction : Danemark

Cette découverte exceptionnelle témoigne de la richesse de la construction viking, utilisant des essences de bois diverses et des techniques éprouvées pour élaborer différents types de vaisseaux conçus pour des usages variés. Les bateaux de travail sont plus larges et plus lourd, dotés de francs-bords plus élevés pour accroître la capacité de charge. Le centre du bateau est réservé au fret et on ne retrouve de traces de trous pour les rames qu’aux extrémités. Au besoin, les vikings ajoutaient parfois une planche supplémentaire au bordé pour rehausser le franc-bord et augmenter la capacité de charge. Les vaisseaux de guerre sont longs, étroits et légers et sont pourvus d’un grand nombre de trous pour les rames. Remarquez les très faibles tirants d’eau. Le grand vaisseau de guerre de 30 mètres et 25 tonnes n’a besoin que de moins d’un mètre d’eau pour passer, lui permettant ainsi de remonter facilement les rivières. On connaît les vitesses dont sont capables ces vaisseaux par les nombreuses répliques qui furent construites. L’examen approfondi du bois ayant servi à la construction permet aussi de savoir avec assez de justesse où les bateaux ont été construits. Ces bateaux voyageaient passablement, seuls deux des cinq vaisseaux trouvés dans le Skuldelev provenant du Danemark.

Construction des bateaux vikings

Le chêne et le pin étaient principalement utilisés pour la construction. Le bois est débité à la hache en « quartiers d’orange Â». Le tronc étant d’abord fendu en deux, puis en quatre, huit et ainsi de suite jusqu'à ce que l’on retrouve des quartiers dans lesquels on peut tailler à l’herminette une planche de l’épaisseur désirée. Cette disposition assure que les cernes du bois sont toujours orientés perpendiculairement à l’épaisseur de la planche. Le résultat est une planche d’une très grande flexibilité. La vidéo du Musée de Roskilde montre d’ailleurs une de ces planches montées entre deux tréteaux à 1 mètre du seul et plusieurs hommes se tenant debout sur la planche qui plie jusqu’à aller toucher le sol.

 La quille est d’un seul tenant et va d’une extrémité à l’autre du bateau. À chaque extrémité, un assemblage de plusieurs pièces de bois reliées entre elles par des joints scarfés forment l’étrave et l’étambot. À noter, les bateaux vikings sont symétriques. La coque est bordée à clin (chacune des nouvelles planches recouvre la précédente). Le bordage commence par la quille où la première planche s’encastre dans la rablure (un biseau raboté tout le long de la quille pour recevoir la première planche). Les planches suivantes sont ajustées et fixées sur les précédentes. À ce stade, il n’y a pas encore de renforts latéraux. Les varangues seront posées une fois terminée l’assemblage des premières planches de bordé. Les varangues sont taillées pour s’encastrer dans les planches de bordés et prennent appui sur la quille. Les planches des œuvres vives sont fixées sur les varangues à l’aide de chevilles de bois fendues dans lesquelles on insère un coin de bois. On ne retrouve des clous que dans les parties supérieures du bordé. Une fois les varangues posées, le bordage recommence, suivi de la pose de membrures qui renforcent la coque dans sa partie supérieure.

 Les bateaux vikings ne sont pas pontés. Les plus petits bateaux disposent d’un plancher fait de planches disposées à même les varangues. Les bateaux plus important disposent d’un barrotage fixé au-dessus des varangues et recevant le plancher. Ces bateaux possèdent ainsi une petite cale. Les bateaux sont lestés à l’aide de pierres coincées entre les varangues. Le pied de mât est constitué d’un gros massif de bois repris sur les varangues. Une deuxième planche fixée un peu plus haut fait office d’étambrai. Le mât n’est pas fixe et peut-être facilement descendu. Le gouvernail est latéral et fixé au bordé par une grosse cheville de bois qui sert de pivot. L’étanchéité et la préservation du bois sont obtenues par une enduction généreuse de goudron de pin.

Le musée de Roskilde

Le Musée des bateaux vikings de Roskilde a été construit pour abriter et mettre en valeur les cinq vaisseaux vikings retrouvés. Au-delà de ce mandat, la vocation du musée s’est étendue et inclut le centre de recherche d’archéologie marine du Danemark, des équipements de conservation, une reconstitution d’un port viking et surtout, un chantier naval très actif dans la construction de répliques de bateaux vikings. Plus d’une douzaine de répliques diverses ont été construites jusqu’à présent et peuvent être admirées dans le port du musée. On y trouve plusieurs petits bateaux de pêche, quelques bateaux de transport et des petits vaisseaux guerriers.

 La construction des bateaux est faite en plein air, parmi les visiteurs, qui peuvent interagir avec les constructeurs. Les techniques de construction utilisées respectent dans toute la mesure du possible les techniques vikings. Le dernier chantier du Musée porte sur la construction d’une réplique du grand vaisseau de guerre de 30 mètres. Lors de ma visite, la quille et les deux étraves étaient assemblées et recevaient de multiples couches de goudron de pin. Dans un hangar adjacent, on travaillait à l’équerrage de troncs de chêne pour la fabrication de planches de bordés. Il s’agit du plus grand chantier entrepris par le Musée à ce jour. Le lancement devrait avoir lieu en 2004.

Les visiteurs qui le désirent peuvent aussi s’inscrire pour une randonnée sur une des répliques. Les groupes de douze à quinze personnes reçoivent chacune un gilet de sauvetage et un briefing avant le départ qui se fera à rame. Renversement de situation, vous devez maintenant payer pour devenir galérien! Si le vent le permet, la voile pourra aussi être hissée. Point de près ici, les vaisseaux vikings étaient équipés d’une voile carrée ne servant que pour les allures portantes.

Se rendre au musée

Roskilde est située à environ 30 km à l’ouest de Copenhague. On peut s’y rendre en train directement à partir de la gare centrale de Copenhague. Le musée est situé à environ une demi-heure de marche de la gare de Roskilde. Un autobus peut aussi vous y emmener. Cependant, le village de Roskilde est des plus charmant à traverser, en empruntant une de ses rues entièrement piétonnières. À l’aller ou au retour, ne manquez pas de visitez la cathédrale de Roskilde, splendide avec ses trois flèches. Datant du XIIe siècle et d’architecture mi-romane, mi-gothique, elle abrite les tombeaux de 37 souverains danois.

À noter : le vaisseau viking était dominant en Europe du Nord à cette époque. On retrouve sa présence dans plusieurs documents de l’époque. Un des plus célèbres d’entre eux est la broderie de la Reine Mathilde, exposée à Bayeux en France (mieux connue sous le nom de tapisserie de Bayeux), et qui raconte l’invasion de la Grande Bretagne par son mari, Guillaume le Conquérant, la préparation et la victoire de Guillaume à la Bataille de Hastings, se terminant par la mort du Roi Harold. Longue de 70 mètres, cette broderie est riche de détails sur la construction et l’utilisation des bateaux vikings ayant servis au transport de troupes pour la traversée de la Manche.

Des mots pour le dire :

Varangue : pièce de bois transversale qui sert de renfort et est fixée à la quille et aux premières planches du bordé.

Bordé : ensemble des planches qui constituent la peau extérieure de la coque. Chacune des planches se nomme virure.

Membrure : renforts transversaux qui sont fixés sur les varangues et remontent jusqu’au haut de la coque. Les planches du bordé prennent appui et sont fixées sur les membrures.

Barrotage : l’ensemble des poutres transversales supportant le pont et qui sont appelés des barrots. Le plus long des barrots donne la largeur maximale du bateau et se nomme le maître bau.

Étambrai : point de passage du mât à travers le pont.

Joint scarfé : technique d’assemblage de deux pièces de bois taillés en biseau pour maximiser la surface de contact. Il existe plusieurs variante du joint dont certaines incluent un blocage des pièces entre elles. On a retrouvé des joints scarfés très sophistiqués sur des galères romaines.

Rablure : une rainure rabotée dans la quille et destinée à recevoir la première planche de bordé. Ce joint est très délicat et c’est habituellement par celui-ci que les bateaux en bois commencent à fuir.

Conservation du bois

La cellulose qui forme la charpente des cellules du bois se dégrade lentement lors d’une immersion prolongée dans l’eau. Lorsque ce bois est remonté à l’air libre, l’évaporation de l’eau rend le bois extrêmement friable, celui-ci tombant littéralement en morceaux. Pour contrer ce phénomène, chaque pièce de bois est immergée dans une série de bains contenant une solution croissante d’éthylène glycol jusqu’à ce que l’éthylène glycol ait complètement remplacé l’eau. Le processus peut prendre plusieurs années. Le Vasa, dont l’épave fut retirée intacte et entière de l’eau, a été arrosée quotidiennement pendant vingt ans.

Pour en savoir davantage

Vous pouvez visiter le site Internet du Musée (en danois et en anglais, il faut parfois passer par le danois pour avoir accès à certaines des pages anglaises): http://www.vikingeskibsmuseet.dk

 Le site de Parc Canada offre des informations sur le campement viking de l’Anse au Meadows (Terre-Neuve) : http://www.pc.gc.ca/lhn-nhs/nl/meadows/natcul/lectures_reading_f.asp